Notre appel à la reconstruction de la paix au Cameroun

Le débat sur la responsabilité des massacres au Nord-ouest et au Sud-ouest du pays, zone de guerre depuis plus de trois (03) est tout simplement nauséabond.

Si pour d’aucuns les horreurs quasi-quotidiens dans la zone anglophone sont du « pain béni » pour tourner la page, avec le soutien de la communauté internationale, du régime « contesté et illégitime », il reste que notre incapacité collective à mettre un terme à cette guerre absurde finira par détruire l’idée même d’une nation camerounaise.

Tous ceux qui militent pour la paix au Cameroun ont aujourd’hui l’obligation de s’engager pour trouver une solution au drame que vivent les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. C’est le sens de ma démarche. Et, qui mieux qu’un député de la Nation, représentant des populations pour poser le problème de ces populations afin que la Nation dans son ensemble puisse en apporter une solution idoine ?

Le 2 décembre 2016, réaffirmant sa foi pour le Cameroun dans un discours mémorable à l’Assemblé nationale, le député Joseph Wirba, représentant légitime de la Nation dans son ensemble et, particulièrement des populations dites « anglophones », avait appelé l’attention du gouvernement sur la situation que vivent les populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Ce discours du 2 décembre 2016 est symbolique au moins à double-titre ; D’une part, vibrant discours, légal et légitime, prononcé au sein de l’assemblé nationale pour dire que les échanges même les plus virulents, ainsi que la résolution des crises devraient se faire dans le cadre républicain. D’autre part, ce discours est révélateur du mal être des populations des zones dites « anglophone » et au-delà, mal être précurseur de la crise sociale récupérée quelques mois plus tard par des mouvements sécessionnistes jusque-là marginaux.

En effet,

L’interpellation du député Wirba ne portait pas sur ce qui est convenu d’appeler aujourd’hui « discussion sur la forme de l’Etat » au point de penser que le statut spécial proposé par le Grand Dialogue National, la décentralisation quelle qu’en soit la forme, le retour au fédéralisme à deux ou dix états, voire même la sécession pourraient être des solutions à la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Relisons le député : « … Vous violez nos enfants ! La fille de mon frère a été violée à Buea. Je jure devant le gouvernement de ce pays. Le président de ce pays sait-il que les gouverneurs, les préfets et tous les administrateurs que vous avez envoyés au Cameroun occidental sont sur le terrain en train d’afficher le comportement d’une armée d’occupation?… Comment pouvez-vous avoir une armée qui est censée protéger les enfants, mais celle-ci arrive sur le terrain, les tabasse et viole certains. Dans aucun pays on ne l’a déjà vécu. Nous sommes au 21e siècle, et quiconque pose ces actes sera tenu pour responsable par son gouvernement… Je faisais partie de ceux qui croyaient au Cameroun unifié, mais je veux faire savoir à cette assemblée que ce qui est arrivé aux enfants de l’Université de Buéa et à ceux de Bamenda m’a fait comprendre que les individus qui affirment que le Cameroun doit être divisé en deux parties ont raison… Si le peuple du Cameroun oriental qui constitue la majorité approuve que notre sang ne représente rien, il est donc temps pour nous de dire que cela prendra bientôt fin… »

L’interpellation du représentant du peuple porte donc sur l’injustice, la répression aveugle…l’absence de démocratie très loin d’une revendication sur la forme de l’état. Mieux, le député dans ce discours proclame son attachement à un Cameroun uni.

Pour mieux illustrer le cri du député, du reste largement partagé au-delà des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, il faudra se souvenir des événements de février 2008 ; Les forces de l’ordre tirent à balle réelles sur des jeunes manifestants camerounais, après un appel à la grève des transporteurs et chauffeurs de taxis, suivi des mouvements contre la cherté de la vie et pour la contestation préventive face à la volonté du gouvernement de modifier l’article 6.2 de la constitution. Il y a des morts reconnus par le Président Paul BIYA dans son discours du 27 février 2008 : « Si l’on peut comprendre qu’après l’échec d’une négociation, une revendication catégorielle s’exprime par l’exercice du droit de grève, il n’est pas admissible que celui-ci serve de prétexte à un déchaînement de violence à l’encontre des personnes et des biens. Les apprentis sorciers qui dans l’ombre ont manipulé ces jeunes ne se sont pas préoccupés du risque qu’ils leur faisaient courir en les exposant à des affrontements avec les forces de l’ordre. Plusieurs d’entre eux ont de ce fait perdu la vie.  ».

La question que pose le député Wirba dans son discours et que se posent aussi les populations bien au-delà des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et, à laquelle toute la Nation doit apporter une réponse est de savoir si la répression violente donnant lieu au viol et au meurtre des populations peut être légitimé dans un Cameroun qui proclame son caractère démocratique ?

La réponse à cette question ne se trouve pas dans un débat sur la forme de l’état mais dans un engagement ferme, sincère et résolu pour la démocratie. Elle appelle à des mesures de justice pour les victimes de la répression, à la capacité de l’Etat de se remettre en cause dans une démarche courageuse et véritablement introspective, à un dialogue inclusif et sans faux-fuyant avec la Nation dans son ensemble y compris l’honorable Joseph Wirba dont le cri, s’il avait été entendu, aurait éloigné les populations de la zone dite « anglophone » des souffrances de la guerre qui s’est installée dans ces régions dès 2017, quelques mois après le discours du député.

La guerre ne peut pas être la réponse au rejet populaire de la répression aveugle et à une demande de liberté et de justice. La guerre dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest alimente et renforce les velléités sécessionnistes, elle enracine le sentiment « anti-camerounais » au sein des populations, elle est par-dessus tout contreproductive et anachronique.

Le territoire camerounais depuis l’occupation allemande et pour autant qu’on puisse parler de nation à cette époque a connu beaucoup de variations mais avec une constance ; l’absence de guerre lors de ces variations territoriales. Il n’y a pas eu de guerre lorsque le Cameroun a été partagé en deux territoires sous mandat et plus tard sous tutelle. Il n’y a pas eu de guerre lorsque la France a amputé le Cameroun hérité des Allemands d’une grande partie de son territoire dite « Neukanerun » au bénéfice de l’Afrique équatoriale française. Il n’y a pas eu de guerre lorsque le Northern Cameroons a été rattaché au Nigeria et il n’y a pas eu de guerre lorsque le Southern Cameroons a rejoint le Cameroun oriental pour constituer la République Fédérale du Cameroun dans les limites territoriales du Cameroun aujourd’hui.

Séparées par la force des occupants entre 1919 et 1961, soit pendant 42 ans et réunies depuis 1961 d’abord sous un système fédéral pendant 11 ans, puis sous la forme d’une république unie depuis 1972, les populations camerounaises du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest aspirent naturellement à la paix, peu importe en définitive les évolutions territoriales ou de système de gestion territoriale. Alors au nom de quoi la guerre dite « de sécession » est menée dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, au point d’asphyxier toute la Nation ?

La guerre de sécession aux Etats-Unis entre 1861 et 1865 était une guerre pour ou contre l’esclavage. Une guerre pour l’humanité et contre la déshumanisation de l’homme noir. Comme d’aucuns diraient, une guerre juste à une époque bien éloignée d’aujourd’hui. Au nom de quoi les camerounais déjà plongé dans un grand dénuement doivent s’entre-tuer à l’époque de la construction négociée de l’union européenne, des referendums sur la souveraineté du Québec au Canada et des négociations quoique balbutiantes sur la construction de l’Union Africaine ?

Je l’ai dit plus haut, cette guerre est absurde et je lance vivement un appel au dialogue direct et inclusif pour reconstruire la paix au Cameroun.

Il faut reconstruire la paix au-delà de la nécessité d’une reconstruction des infrastructures endommagées et créer les conditions pour qu’à moyen terme, les populations de l’ancien Southern Cameroons se prononcent librement et sereinement sur la volonté de poursuivre la construction d’une Nation camerounaise. C’est aussi cela la démocratie. Il faut ramener la paix dans ces régions par le dialogue. C’est un impératif par-dessus tout pour tous ceux qui militent pour un Cameroun « un et indivisible ».

Les populations des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest méritent de retrouver une vie paisible et l’honorable joseph Wirba aurait mérité sans aucun doute de retrouver l’hémicycle de Ngoa Ekellé y représenter dignement la Nation comme le symbole de la normalisation de la situation dans ces régions en proie à la guerre depuis trois ans. Hélas, l’élection du 9 février 2020 a consacré son exclusion et celle de ceux qui pensent comme lui.

En persistant collectivement dans la voie du déni et de l’exclusion pour certains, ou celle de l’indifférence pour d’autres, nous contribuons au déchirement de la Nation et, celle-ci ne se remettrait très surement pas d’avoir abandonné au bord de la route l’honorable joseph Wirba et tous ceux dont il a été le porte-voix lors de son discours du 2 décembre 2016. Inlassablement, tendons la main à nos sœurs et frères pour un Cameroun uni, libre et prospère!

 Samuel BILLONG